Plafond de la dette américaine: et si la limite était atteinte?

26 Mai 2023 -
Christofer Govaerts
Chief Strategist
The US debt ceiling

Ces dernières semaines, le plafond, ou la limite, de la dette américaine a fait la une de nombreux médias. Il s'agit désormais d'une question politique très urgente, car selon les premières estimations, un dépassement de la limite pourrait intervenir dès juin ou début juillet. Quelles en seraiet les conséquences politiques, sociales et économiques ?

Limite de la dette aux Etats-Unis

Le ministère américain des Finances définit la limite de la dette et ses implications comme suit :

La limite de la dette est le montant total de l'argent que le gouvernement des Etats-Unis est autorisé à emprunter pour faire face à ses obligations légales existantes, telles que les prestations de la Sécurité sociale et coûts médicaux, salaires militaires, intérêts sur la dette nationale, remboursements d'impôts, etc. Le plafond de la dette n'autorise pas de nouveaux engagements de dépenses. Il permet simplement au gouvernement de financer les obligations légales existantes.

Le fait de ne pas relever le plafond de la dette aurait des conséquences économiques catastrophiques et serait en outre un événement sans précédent de l'histoire américaine. Cela  précipiterait une nouvelle crise financière et menacerait l'emploi et l'épargne de la plupart des Américains. Le Congrès a toujours agi lorsqu'il a été appelé à relever la limite de la dette ; il l’a fait 78 fois depuis 1960.

Le plafond actuel de la dette est fixé à 31 400 milliards de dollars, soit environ 133% du PIB nominal :

The US debt ceiling graphic

Question politique brûlante

Au cours de la dernière décennie, le jeu politique entourant le plafond de la dette a constamment repoussé les limites. Les débats politiques se sont toujours joués sur le fil, mais au final, un compromis a toujours été trouvé juste à temps, mais de plus en plus proche du délai de minuit. Le pays divisé depuis 2016 est à nouveau un sujet brûlant avec un Congrès bipartisan, à savoir une majorité républicaine à la Chambre des représentants et une majorité démocrate au Sénat. Ce qui gêne les marchés à l'heure actuelle, c'est qu'un compromis ne soit trouvé qu'après minuit, ce qui entraînerait un défaut technique pour la première fois de l'histoire américaine.

Quelle est la position des partis politiques à l'heure actuelle ?

Au cours des dernières semaines, le président Biden a refusé de se soumettre aux demandes et n’acceptera qu’un accord sans condition. Les républicains ont quant à eux une vision différente. Le chef de la majorité à la Chambre Mitch McCarthy propose un compromis assorti de conditions considérables qu’il présente comme suit : "Si votre enfant avait une carte de crédit et dépassait sans cesse la limite, vous n’augmenteriez pas sans cesse celle-ci. Vous discuteriez avec lui pour déterminer la raison de ces dépenses excessives et ce que l’on peut faire pour changer son comportement. Il est temps que le gouvernement fédéral fasse la même chose."

Conséquences économiques d’un dépassement du plafond de la dette

Etant donné que le plafond de la dette n’a jusqu’à présent jamais été dépassé, nous nous dirigeons en territoire inconnu. Nous disposons de quelques études et simulations de divers groupes de réflexion, de bureaux de recherche et de la Réserve fédérale qui brossent un tableau potentiel de la situation.

Les répercussions potentielles d'un dépassement du plafond incluent notamment une rétrogradation par les agences de notation de crédit, une hausse des coûts d'emprunt pour les entreprises et les propriétaires, et un plongeon de la confiance des consommateurs qui pourrait perturber le marché financier américain et faire entrer l'économie en récession. Mais à quel point l’économie peut-elle être touchée ? Cela dépend en partie de la durée de l’impasse.

  • Les économistes de Goldman Sachs ont estimé qu'un dépassement du plafond de la dette mettrait immédiatement à l’arrêt environ un dixième de l'activité économique américaine. Ce qui est synonyme d’une très forte récession.
  • Selon le think tank centre-gauche Third Way, un défaut de paiement pourrait causer la perte de trois millions d'emplois, ajouter 130 000 dollars au coût d'une hypothèque moyenne de trente ans, et relever les taux d'intérêt suffisamment pour augmenter la dette nationale de 850 milliards de dollars.
  • En 2021, lorsque l'incapacité à relever le plafond de la dette a une nouvelle fois menacé la capacité du Trésor à honorer ses obligations, Moody's Analytics avait conclu que les coûts pour l'économie américaine d'autoriser un plafond de la dette contraignant auraient été sévères. Dans la simulation de Moody's, si l'impasse avait duré plusieurs mois, l'emploi aurait diminué de 5 millions et le PIB réel de près de 4% à court terme avant de se redresser au cours des trimestres suivants.
  • En octobre 2013, la Réserve fédérale avait simulé les effets de l’application d'un plafond de la dette durant un mois durant lequel le Trésor continuerait à verser tous les intérêts. Les économistes de la Fed ont estimé qu'une telle impasse aurait entraîné une hausse de 80 points de base des rendements des bons du Trésor à 10 ans, une baisse de 30% du cours des actions, une baisse de 10% de la valeur du dollar et un impact sur la confiance des ménages et des entreprises. Cela se serait traduit par une légère récession, conduisant à une hausse du taux de chômage. Une telle augmentation se traduirait aujourd'hui par la perte d'environ 2 millions d'emplois en 2023 et 2,8 millions d'emplois en 2024.
  • Macroeconomic Advisers a réalisé un exercice similaire en 2013. Il a évalué les coûts économiques de deux scénarios, l'un dans lequel l'impasse n'a duré que peu de temps et un autre dans lequel elle a persisté pendant deux mois. Même dans le scénario où l'impasse se résorbe rapidement, les conséquences économiques ont été substantielles : une récession modérée et une perte de 2,5 millions d'emplois qui n’a connu un redressement que très lent. Dans le scénario où l'impasse a duré deux mois, les effets ont été plus importants et plus durables. A court terme, il y aurait une perte de 3,1 millions d'emplois. Même deux ans après la crise, on resterait avec 2,5 millions d'emplois de moins.
  • Une simulation du CEA (Council of Economic Advisors de la Maison Blanche) de l'effet d'un défaut prolongé montre une récession immédiate et brutale de l'ordre de la crise financière de 2008. Au T3 2023, le marché boursier chuterait de 45%, entraînant un impact négatif sur les comptes de retraite ; parallèlement, la confiance des ménages et des entreprises serait fortement ébranlée, entraînant un recul de la consommation et des investissements. Le chômage augmenterait de 5%. Contrairement à la crise financière et à la récession liée à la COVID, le gouvernement ne serait pas en mesure d'aider les consommateurs ni les entreprises.

Selon le scénario le plus défavorable, les coûts seraient encore plus élevés en cas de défaut prolongé.

Y a-t-il un plan d'urgence si le scénario le plus défavotable se produisait ?

Sans même avoir franchi le plafond de la dette, nous constatons déjà que les marchés se préparent au cas où l'inimaginable devait se produire. On peut l’illustrer par l'évolution des bons du Trésor américain à court terme et des primes de risque à court terme, les bons du Trésor arrivant à échéance début juin ayant des rendements supérieurs à ceux d'un mois plus tard.

La Fed se trouve dans une situation quelque peu délicate. D'un côté, la meilleure chose à faire pour la Fed est de rester apolitique et de surveiller à distance. Jerome Powell a déclaré que le plafond de la dette est une question fiscale nécessitant une solution politique. Les propos de Powel sont toutefois à prendre avec précaution pour plusieurs raisons. Depuis la Grande crise financière, la Fed a agi comme une sorte de cabinet budgétaire parallèle, dans la mesure où diverses mesures de politique monétaire ont eu des conséquences budgétaires. En outre, la Fed a également une obligation vis-à-vis des marchés financiers en termes de stabilité/volatilité et doit s'assurer que la liquidité est assurée. Enfin, la Fed a à plusieurs reprises souligné qu'elle était disposée à lutter contre l'inflation en relevant davantage les taux d'intérêt ultérieurement, même en cas de conséquences négatives sur le cycle économique (récession) et de pertes d'emplois.

Une autre possibilité - quoique discutable - serait de faire comme si de rien n’était ou d’en quelque sorte « passer outre ». Ce plan B aurait bien sûr des conséquences juridiques, se terminant par un procès inéluctable devant la Cour suprême des Etats-Unis. Le seul avantage est qu'il permet de gagner un temps précieux.

Quelles sont les autres options ?

Les possibilités d'urgence suivantes peuvent être envisagées, mais n’offrent pas de solution fondamentale, et ont peu de chances de passer :

  • Reclasser les avoirs de la Fed en titres publics afin de ne pas être soumis à la limite de la dette.
  • Repousser les paiements en principal en reportant la date d'échéance opérationnelle.
  • Faire racheter par la Fed la totalité de la dette en cas de défaut et vendre des titres non à risque.
  • Emettre des obligations perpétuelles ou consulaires, qui n'ont pas de principal à rembourser.
  • Frapper une grande pièce de platine vu que le Trésor crée de l'argent. Dans le cadre du programme proposé, le Trésor frapperait une pièce de 1 000 milliards de dollars et la déposerait à la Fed, puis tirerait l'argent pour payer les bons du pays.
  • Emettre des obligations à coupon élevé, qui se vendraient avec une prime au-dessus du pair.
  • Réévaluer le stock d'or au prix actuel et émettre des certificats or.

Ces scénarios sont fort improbables, mais l'avenir dira s'il y aura un dépassement du plafond de la dette et quelles solutions seront trouvées.

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